« Gaz de houille, géothermie, sources d’énergie alternatives en Wallonie ? «
Le Centre d’études Jacques Georgin a souhaité le 23 février dernier , à l’heure où l’on parle beaucoup de mix, de transition énergétique, se pencher sur des sources d’énergie plus méconnues et pourtant bien présentes dans le sous-sol wallon : le gaz de houille et la géothermie, qui connaît déjà des applications dans la région de Mons-Borinage.
Conclusions ? De réelles potentialités en termes de ressources énergétiques , un impact environnemental mesuré, mais un écueil de taille à ce stade : un manque de connaissance patent par les autorités publiques wallonnes de leur sous-sol et aucun projet exploratoire à ce jour….
Préambule :
Plusieurs ministres de l’Energie ont commandité des études sur la transition énergétique à opérer en Belgique ; l’abandon du nucléaire, la dépendance extérieure en énergies fossiles, les obligations Kyoto (et bientôt plus sévères pour l’après Kyoto) en matière de limitations de gaz à effets de serre (alors que la Belgique n’est pas particulièrement gâtée pour les sources solaire et éolienne ) aboutissent à deux conclusions majeures :
-prendre des mesures drastiques d’économie d’énergie et d’efficacité énergétique d’une part,
-construire un mix énergétique où le renouvelable prendra une place croissante.
Dans ce mix énergétique aucune référence au potentiel du sous-sol wallon, ainsi :
En 2011, à la demande des quatre ministres belges de l’énergie (fédéral et régionaux) un consortium constitué de trois partenaires scientifiques- le Bureau fédéral du Plan (BFP), l’Institut de Conseil et d’Etudes en Développement Durable (ICEDD) et le Vlaamse Instelling voor Technologisch Onderzoek (VITO)- a publié un rapport :
« Towards 100% renewable energie by2050 ».
On peut y lire en autres :
« The geothermal potential has been quantified by the Consortium. This quantification is based on an underground heat map that is currently under construction. In the northern Limburg region, 280 individual installations of 11 MWe could be installed on an available surface of 540 km², reaching 3100 MW. As no detailed data for Wallonia were available,the potential for Belgium has been augmented only to 4000 MW
Et pourtant : 3 puits de 100m3/h sont en fonctionnement en Wallonie dont celui de St Ghislain qui alimente, 350 logements sociaux, 3 écoles, une piscine, un centre sportif, une gare, un hôpital etc….et le potentiel est plus important que ce qui a été identifié dans le Limbourg
En 2007 une commission Energie, installée à la demande du ministre de l’Energie de l’époque Marc Verwilghen, publiait un volumineux rapport :
« Belgium’s Energy challenges towards 2030 ». On peut y lire en autres: A typical characteristic of a gas market is that gas demand can fluctuate very strongly. Between the peak demand and the lowest demand, a factor of 4-5 is not unusual, depending especially on the meteorological circumstances. This means that for a country like Belgium, without any own gas wells, storage capacity of gas is very important.
Et pourtant : un Holding d’Albert Frère a introduit une demande de permis auprès de la région wallonne pour explorer et éventuellement exploiter des ressources de gaz de houille (grisou) dans le Hainaut (en collaboration avec GAZONOR).
Le Centre d’Etudes Georgin a voulu faire le point sur le potentiel du sous-sol wallon en demandant à Jean-Marc Baele de partager le résultat de ses travaux concernant le gaz de houille et la géothermie.
Jean-Marc BAELE est parti des constats suivants :
-d’une part, une réalité du changement climatique pour laquelle la responsabilité humaine est clairement engagée.
-d’autre part, une augmentation de la demande énergétique qui rend le futur impossible sans les combustibles fossiles.
Trois facteurs clés :
-Economie
-Inertie industrielle
-Développement différé (Inde, Chine…..)
Le gaz de houille.
La technique et l’acceptabilité environnementale et sociétale
Est-il raisonnable d’envisager encore aujourd’hui d’exploiter une source d’énergie fossile ?
Les énergies fossiles représenteront en 2035 au niveau mondial encore toujours 75% du mix énergétique (source AIE).
La date d’épuisement des réserves sont sans cesse reportées grâce aux avancées technologiques (exploitation de gaz de schiste, de sables bitumineux, etc..) et incontestablement il n’y a pas de pénurie prévisible de ces combustibles et par ailleurs le développement des projets est tributaire très clairement de critères économiques en fonction des fluctuations des prix du pétrole
Le gaz en particulier en Belgique restera encore longtemps une des composantes importantes de nos sources d’énergie et devra faire l’objet de toutes les attentions pour que son approvisionnement soit garanti.
Gaz de schiste/gaz de houille ; des techniques d’extraction différentes.
La roche mère du gaz de houille est le charbon ; le gaz y est beaucoup plus concentré que ne l’est le gaz enfermé dans la roche mère de schiste : 1m3 de charbon =15m3 de gaz de houille vs 1m3 de schiste= 1m3 de gaz de schiste. Contrairement au gaz de schiste il ne faut pas fracturer la roche pour extraire le gaz de houille.
Le professeur Baele fait état de clathrates (dont le potentiel est énorme (100 fois le gaz conventionnel) dont la recherche et développement est en cours actuellement au Japon mais qui constitue un gaz à effet de serre très puissant et donc extrêmement polluant.
Pour Jean-Marc BAELE, la technique d’extraction du gaz de houille ne doit pas faire craindre des effets négatifs : les intrusions hoizontales en profondeur n’auront rien de comparable avec les énormes retraits de matières dues à l’extraction du charbon.
Le potentiel
Il faut distinguer :
Le gaz encore présent dans les mines qui ont été exploitées : présence d’environ 250 Millions de m3 mais c’est un gaz pauvre – il ne contient que 40% de méthane et offre donc peu d’intérêt.
Le gaz présent dans les veines de charbon encore vierges ; les quantités de charbon présentes dans le sous-sol wallon sont encore importantes : 7 milliards de tonnes, soit 2 à 3 fois les quantités qui ont été exploitées ce qui permet d’estimer la présence de 100 à 200 milliards de m3 de gaz de houille, soit l’équivalent de 10 ans de consommation nationale de gaz naturel ou à une diminution de nos importations de 25% pendant 40 ans.
Mais en tenant compte qu’à peine 10% des terrains sont suffisamment connus pour faire des estimations fiables et que l’ordre des strates du sous-sol a été perturbé, le charbon n’est pas toujours là où l’on pense, un inventaire complet et précis s’impose. Une fois cette cartographie établie il s’agira de définir quel est, techniquement, le taux de récupération possible et, économiquement, le seuil de rentabilité pour son extraction et sa production.
La Géothermie
La technique
La géothermie consiste à forer un puits pour atteindre les roches dont le degré de perméabilité et de porosité élevé permet de chauffer l’eau en contact et vecteur de la chaleur.
La température de la roche atteinte par le puits augmente de 30° par km de profondeur.
L’avantage dans la zone d’alimentation du Hainaut est que l’eau circule librement en contact de ces roches alimentant de grandes quantités de puits naturels et de cavernes.
Il ne faut donc pas faire appel à la géothermie de type sèche c’est-à-dire nécessitant la fracture de la roche pour faire passer l’eau.
Le potentiel
En fonction de la profondeur du puits les applications diffèrent :
< 50° basse enthalpie : assistance de pompe à chaleur
>50 à <100° moyenne enthalpie ou géothermie profonde – chauffage urbain
>100° haute enthalpie ou géothermie profonde : production de vaoeur et d’électricité
Dans le Hainaut la géothermie est utilisée pour le chauffage urbain- 3 puits aujourd’hui sont en fonctionnement dans le Hainaut : St Ghislain, Ghlin et Douvrain
Alors qu’aucun puits de réinjection de l’eau dans la nappe n’a été installé, la production géothermique existe depuis 30 ans sans que le débit ne faiblisse (100m3/h).
La nappe géothermique carbonifère s’étend sur environ 100km (elle est donc très étendue) et permettrait donc d’autres applications, mais il est vrai que la mise en œuvre technique et l’économie du projet doivent être pris en considération suffisamment tôt dans sa conception.
La dernière occasion ratée pour alimenter le futur Ikea ( et les installations annexes) à Mons sur le site des Grands-Prés est exemplatif.
D’autres couches calcaires non explorées pourraient en fonction de leur profondeur et de leur épaisseur permettre de produire de l’électricité.
A noter : vu l’ampleur de la nappe, qui ignore les frontières étatiques, il n’est pas exclu que les voisins français y accèdent également.
En conclusion
A l’heure de l’inventaire de l’ensemble des sources d’énergies disponibles le gaz de houille et la géothermie méritent d’être repris dans le futur mix énergétique dans un souci de diversification et de décentralisation des sources d’énergie.
Comme le font nos voisins français, néerlandais et flamands, la Région wallonne doit s’intéresser à son sous- sol dont les ressources sont considérées à tort comme épuisées, polluantes ou appartenant à un passé révolu car elle dispose potentiellement de trois gisements superposés (géothermie, gaz, gaz de houille). Pour le même prix, on peut donc explorer trois ressources.
S’intéresser au sous-sol c’est d’abord le connaître plus en détails, c’est-à-dire en allant au-delà de l’extrapolation des observations à partir de la surface et en prenant exemple sur la Flandre et les Pays Bas (techniques de forage).
Même si la conjoncture actuelle s’avère peu propice (du fait de l’offre excédentaire en énergies fossile) pour une exploitation compétitive il est nécessaire d’être prêt le jour d’un renversement de conjoncture ( ce qui a été le cas des gaz de schistes aux E-U , connus et inventoriés depuis longtemps )
Et dans l’hypothèse d’une issue favorable cette exploitation aurait comme avantages d’améliorer l’autonomie énergétique de la Région wallonne, la compétitivité de certaines entreprises, et la réduction susbtantielle de gaz à effet de serre.
A quoi s’ajoute que le sous-sol wallon contient des terres rares, enjeu économique qui n’était pas connu au moment des charbonnages.
Or, en l’état, aucun programme d’exploration géologique ou d’auscultation sismique n’est à l’ordre du jour en Wallonie : la Déclaration de Politique Régionale (DPR) 2014/2019 ne fait aucune allusion à ces sources d’énergie alternatives ni encore moins à d’éventuels programmes de ce type.
Comme dans d’autres domaines, on peut regretter à cet égard le manque de prévisibilité des autorités wallonnes en termes de prospectives économiques.