Le Centre d’Etudes Jacques Georgin a consacré sa première conférence de rentrée autour du dossier éminemment sensible de la réforme des pensions.
En effet, des défis multiples et complexes se présentent à l’horizon 2030/2040 : augmentation importante des coûts, une pression fiscale et parafiscale restant très (trop) élevée, un niveau d’emploi trop faible pour les 55 ans et plus, une culture de compromis pratiquée à l’extrême qui empêche toute réforme structurelle……
L’objectif est de faire reculer l’âge moyen réel de la retraite (actuellement de l’ordre de 59 ans et 6 mois en Belgique, soit l’un des plus faibles de l’Union européenne)
Constats
Sur le plan démographique
Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, il y a une conjonction de trois phénomènes :
une amélioration impressionnante de la longévité ;
un niveau bas du taux de natalité ;
l’effet du baby-boom ;
Sur le plan des évolutions économiques et sociales au niveau du marché du travail
Indépendamment de la démographie, nos sociétés ont connu des évolutions économiques, sociales et sociologiques au cours des dernières décennies :
la généralisation des mesures de retraite anticipées (exemple : prépensions….) que le professeur Devolder qualifie de « spécialité belge »
la flexibilité accrue en termes d’emploi
le développement des contractuels dans les services publics ;
l’égalité homme/femme et les modifications des structures familiales.
Le professeur Devolder a précisé dans son exposé que l’âge moyen de départ à la retraite en Belgique est de 59 ans et six mois.
Taux d’emploi dans l’Union européenne des « seniors »
Alors que la moyenne en Europe du taux d’emploi des personnes âgées de 55 ans jusqu’à 64 ans inclus est de 50.7%, la Belgique pointe à la 21eme place avec un taux de 39.1%
Au niveau du taux d’emploi des 18/24 ans, la Belgique est également en deçà de la moyenne européenne de 36.7% avec une 16eme place et 27.8%.
Contrairement aux idées reçues, il n’y a pas nécessairement d’impossibilité de conjuguer un taux d’emploi élevé simultanément dans les deux tranches précitées.
En effet, au niveau du taux d’emploi des 55/64 ans inclus, les cinq premiers pays de l’Union européenne sont dans l’ordre :
Suède 71.2%
Chypre 70.9%
Danemark 67.3%
Royaume-Uni 65.7%
Irlande 65%
Ces cinq pays se retrouvent néanmoins dans le top 10 des pays européens en termes de taux d’emploi des jeunes (18/24 ans inclus) et en tout état de cause au-dessus de la moyenne européenne.
2. Danemark 62.3%
3. Royaume-Uni 55.4%
5. Irlande 57.7%
9. Suède 39.2%
10. Chypre 37.1%
Il est donc erroné d’affirmer qu’il faut nécessairement mettre les travailleurs à la retraite afin de faire place aux plus jeunes.
Dépenses publiques de pension (source : Eurostat)
Les dépenses publiques de pension représenteront 10.9% du PIB en Belgique en 2015.
En 2030 : 13.9%
En 2050 : 14.7%
En 2060 : 14.7%
Parallèlement, la moyenne européenne évoluera de 10.3% du PIB en 2015 jusqu’à 12.5% en 2060.
Pour prendre un exemple de stabilité, la Suède (qui se singularise par le meilleur taux d’emploi des seniors de l’Union européenne, cfr supra) est actuellement à 9.5% du PIB
Pour 2015 en dépenses publiques de pension et ce taux devrait se stabiliser à 9.4% et en 2060 (9% en 2050)
Effet macroéconomique de la réforme des pensions de 2011 (Van Quinckenborne)
La diminution attendue des dépenses publiques de pension (en % du PIB) est évaluée :
-en 2017 : -0.2%
-en 2020 : -0.2%
-en 2030 : -0.2%
-en 2060 : -0.1%
1.6. Taux de cotisation d’équilibre implicite (ndlr : ce qu’il faudrait prélever sur les salaires) (2011, 2020, 2030, 2040)
salariés 20,4% 24,6% 29.7% 32.5%
indépendants 18.2% 22.2% 26.7% 28.5%
secteur public 56% 67.8% 80.7% 87.8%
Nécessité d’une réforme
2.1. Principaux défis
l’augmentation très importante des coûts d’ici 2030, un des plus importants parmi les membres de l’Union européenne
la pression fiscale et parafiscale demeure trop forte sur les revenus du travail en Belgique
le niveau de pensions du premier pilier (ndlr : cotisations de sécurité sociale) n’est pas si généreux pour les salariés et indépendants
le niveau d’emploi demeure beaucoup trop base pour les 55 ans et plus (la Belgique pratiquant une culture des pensions anticipées.
le constat d’une absence de réforme sérieuse du système dû au compromis politique
le système est devenu complexe avec une multiplicité de règles : manque de
transparence et perte de confiance du citoyen.
2.2. Objectif
Le principal défi est de parvenir à faire reculer l’âge réel de la retraite (actuellement, de l’ordre de 59 ans et 6 mois) et pas nécessairement l’âge légal de la retraite (le Professeur Devolder déplore à cet égard l’erreur manifeste de communication du Gouvernement fédéral au sujet de l’avancée de l’âge légal à 67 ans).
Une flexibilité dans l’âge de la retraite est assurément souhaitable mais il faut alors clairement introduire des corrections actuarielles suffisantes à la hausse comme à la baisse.
« Le but de la sécurité sociale n’est pas de faire de l’optimisation des choix individuels » (Pierre Devolder).
Axes dégagés par la Commission de réforme des pensions 2020-2040
3.1. En termes de structures
La Commission propose la création :
d’une part, d’un Comité national des pensions regroupant représentants de l’Etat et partenaires sociaux (sur base paritaire) en vue d’étudier le suivi, donner des avis, et prendre des initiatives.
d’autre part, d’un centre d’expertise des pensions (à l’instar du Centre fédéral d’expertise des soins de santé) chargé d’analyses et de perspectives.
3.2. En termes de principes communs aux différents régimes de travail
1. La constitution des pensions légale doit être transparente : chaque citoyen, aussi jeune soit-il, doit pouvoir suivre l’évolution de son « compte pension « année après année »
2. La performance sociale et la soutenabilité financière des trois régimes (salariés, fonctionnaires, indépendants) doivent faire l’objet d’un suivi permanent (= évaluation des politiques publiques) : si des indicateurs laissent à penser que
Les objectifs ne seront pas atteints, des corrections devront être apportées sur base des principes fixés au préalable ; là où c’est possible, des corrections automatiques seront intégrées dans le régime de pensions
Des règles du jeu fixées au préalable pour garantir les équilibres, et une implication étroite des partenaires sociaux doit aller de pair
4. Le niveau de pensions doit être maintenu grâce à un allongement des carrières et en rémunérant davantage les prestations de travail effectives lorsqu’il est satisfait aux conditions de travail anticipées.
5. Les conditions de durée de carrière à respecter pour accéder à la pension doivent être alignées entre les différents régimes :
Toute différence en matière de carrière requise ou d’âge pour l’accès à la pension doit pouvoir être justifiée de manière objective.
L’on doit aussi éviter qu’une sortie anticipée puisse avoir lieu via d’autres systèmes sans qu’il soit satisfait aux conditions d’âge et de carrière requises dans le régime des pensions.
6. Le calcul de la pension doit être basé sur les revenus du travail de toute la carrière, et pas uniquement sur le fin de carrière : le calcul intégrera un principe de revalorisation des salaires intérieurs (sans que pour autant les pensions augmentent dans les régimes de salariés et des indépendants où une telle revalorisation n’existe pas aujourd’hui)
7. Une certaine liberté de choix doit être laissée en ce qui concerne le moment où l’on prend sa pension, avec cependant un mécanisme de correction qui soit objectif, équitable et socialement justifié en cas de pension anticipée ; la
Commission propose à cet égard une combinaison de mécanismes qui tiennent compte de l’âge mais aussi de la carrière prestée : prendre sa retraite de manière partielle doit être possible.
8. La protection minimale dont bénéficient les pensionnés doit être améliorée et doit être beaucoup plus clairement proportionnelle à la durée de leur carrière.
9. La dimension familiale des régimes de pension doit être modernisée et uniformisée : après une période de transition suffisamment longue, la pension au taux ménage sera supprimée pour les salariés et les indépendants ; parallèlement, les droits dérivés seront ouverts aux cohabitants légaux ; en cas de divorce ou de cessation de la habitation légale, les droits de pension acquis pendant la période de vie commune seront partagés ; la couverture décès sera rendue plus équitable.
10. Un lien plus fort est nécessaire entre prestations de travail effectives et montant de la pension, sans que cela ne s’oppose à un principe de périodes assimilées : si la société est d’avis que les travailleurs ont droit à des allocations en raison d’un chômage involontaire, d’une maladie, ou invalidité, d’un accident de travail ou d’une maladie ou encore pendant un repos d’accouchement, une assimilation dans le calcul de la pension sera bien entendu légitime et évidente.
Option de réforme à moyen terme : le système par points
Rappel :
1er pilier : sécurité sociale (cotisations) (obligatoire selon le mode répartition)
2e pilier : assurance de groupe/fonds de pension (facultatif selon le mode capitalisation)
3e pilier : épargne libre (assurance vie/épargne pension)
Définition
Il s’agit d’un régime en répartition mais où les prestations ne sont plus calculées à la retraite en fonction d’une formule sur le salaire mais correspondent à la contrevaleur en euros d’une somme de points accumulés tout au long de la carrière et convertie à l’aide à la fois d’une valeur du point et d’un coefficient tenant compte de l’âge de liquidation des points.
Pour la Commission, les dix principes pourront être le plus efficacement concrétisés par le biais d’un système de répartition sur base de points, avec des caractéristiques générales pour les trois régimes légaux, mais où le calcul de la valeur d’un point (sa conversion en euros) diffère d’un régime à l’autre.
Le professeur Devolder considère ce système comme transparent , car il permet à chaque travailleur, dès le début de sa carrière, de consulter son dossier.
3.3.2. Philosophie du système
Chaque année, on acquiert un certain nombre de points qui correspondent au rapport entre la cotisation payée (ou le salaire) et une cotisation de référence (ou salaire de référence) : à l’âge de la retraite, on obtient ainsi un nombre de total de points.
Ce nombre de points est ensuite converti en euros en une rente de retraite
À l’âge effectif de la retraite par l’application à la fois de la valeur du point et d’un coefficient actuariel tenant compte de l’âge.
Cette rente est alors versée et indexée selon une règle fixée.
Les corrections actuarielles et le risque de longévité sont endogènes et on peut prévoir aussi des liquidations partielles.
Conclusions partielles du professeur Devolder
L’adaptation indispensable de notre régime de base de premier pilier face au risque de vieillissement et aux dérives des prépensions (exemple : étudier le lancement d’un premier pilier bis pour les travailleurs contractuels des services publics).
Des systèmes de répartition alternatifs existent permettant d’intégrer à la fois une logique de solidarité mais également de responsabilité individuelle (corrections actuarielles).
L’importance d’intégrer des mécanismes d’ajustement de la longévité et de corrections actuarielles.
Un lien plus fort entre l’effort contributif et les prestations.
L’intérêt de la diversification entre la répartition et la capitalisation.
La possibilité d’introduire de la capitalisation obligatoire.
La poursuite de l’expansion en tant qu’outil complémentaire du deuxième pilier et maintenir son caractère collectif (exemple : extension pour les indépendants en personne physique-convention de pension en deuxième pilier)